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YEMEN - Région de Saada (Sa'dah) - Remise de Diplômes dans une école coranique sur la frontière saoudienne.

par Yves MAILLIERE 3 Mars 2010, 19:07 YEMEN

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YEMEN – REGION DE SAADA (SA’DAH)

Remise de diplômes dans une école coranique sur la frontière saoudienne…
 

L’essentiel de mon séjour dans la tribu Al Tahl est maintenant derrière moi, et je dois maintenant penser au retour sur Sanaa où m’attend un avion dans quelques jours. J’en parle à Abdallâh qui confirme aussitôt mon vol par téléphone satellite, et m’arrange un retour en 4x4 avec le frère du Cheikh Mohamed, qui doit retourner sur la capitale pour les affaires de la tribu… Le Cheikh Hassan m’interpelle à la fin du déjeuner. « Il n’y aura pas de séance de qat cet après-midi. Nous devons partir dans la minute avec une dizaine de gardes et des notables de la tribu, à une célébration de remise de diplômes de fin d’année ». Je prends deux pellicules photos sur les conseils du jeune Cheikh, et suis le groupe sans discuter, ravis de vivre une nouvelle aventure de la vie quotidienne de la tribu… Mais je comprends après les deux premières heures d’un trajet interminable, que je n’ai pas bien compris où nous allions. Notre voyage va durer plusieurs jours. Je suis parti sans affaires de toilettes, ni affaires tout court. Et je ne parle pas de mon avion ! J’en parle au Cheikh Hassan qui me rassure aussitôt. « Tu seras de retour après demain au Palais, pour partir à Sanaa avec mon oncle… ».
 

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Des montagnes acérées dans des paysages d’une autre Galaxie…

 

Notre convoi de 4x4 avance au pas sur des chemins de montagnes défoncés. Ma boussole indique plein Ouest, vers la frontière saoudienne. Les kilomètres défilent au compte gouttes, au rythme des bottes de qat que nous mâchons pour oublier le temps. Le convoi traverse des paysages sidérants, des canyons rougeoyants, et des plateaux rocheux parsemés de cratères, remplis d’une eau venue d’on ne sait où ?! On se croirait débarqués sur Mars ou Vénus ! « La légende raconte que le massif rocheux que nous traversons, est un morceau de Lune tombé du ciel ! », commente le Cheikh Hassan en souriant… Et paradoxalement, bien que l’univers qui nous entoure soit entièrement minéral, sans vie, nous croisons régulièrement des groupes d’enfants joyeux. De jeunes bambins refaisant la route sur quelques mètres, pour permettre aux 4x4 de passer des cols où des passages dangereux, aux bords de ravins vertigineux. Un travail de titans pour de simples enfants. Une tâche pour laquelle le Cheikh Hassan ne manque jamais de donner quelques billets, pour la plus grande joie des jeunes terrassiers en herbe…

 

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Une pause dans la savane...

La nuit tombe brutalement. Je ne sais pas comment le Cheikh Hassan arrive à retrouver son chemin dans le dédale de montagnes aux pics acérées et lugubres, se détachant au dessus de nos têtes dans un tapis d’étoiles. Le convoi enjambe des champs de buissons épineux, traverse des lits de rivières, ou suis parfois plus simplement les cours d’eau asséchés. La piste disparaît régulièrement pour ne réapparaître qu’à l’entrée de petits villages perdus dans les montagnes. Je scrute chaque détail de vie à travers les vitres du 4x4, ne voulant rien manquer de ces nids d’aigles d’un autre temps, aux maisons de pierres éclairées par la lumière scintillante d’ancestrales lampes à huile. Au diable l’humilité, je ressens une ivresse rare, celle des « grands explorateurs » ! Le jeune Cheikh comme s’il devinait mes pensées, me confirme que je suis à sa connaissance le premier étranger occidental, à pénétrer aussi loin dans cette région…

 
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Le Cheikh monte vers le Chapiteau où va se dérouler la cérémonie...
 

Arrivée au terme de notre périple, quelque part sur la frontière Saoudienne…

Le convoi s’arrête aux limites du massif montagneux, dans un petit village perché à plus de deux milles mètres d’altitude à flanc de montagne. Face à nous, le paysage fuit dans un ravin vertigineux vers une immensité désertique, plane et aride, que l’on devine au clair de lune. « C’est l’Arabie Saoudite », me dit un garde, le regard brillant d’excitation et d’admiration mélangées…

 
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La Cérémonie a lieu sous un chapiteau géant, dressé sur le toit rasé d'une montagne...

Nous sommes tous rassemblés en cercle dehors, autours d’un Imam immense et rondouillard sur la terrasse d’une grande résidence surplombant la frontière saoudienne. Plein d’autocritique, l’Imam à la voix profonde et caverneuse, fait rire tout le monde en se moquant tour à tour de chacun, et en épinglant plus particulièrement ceux qui se réclament plus musulman que leur voisin. Du garde au Cheikh Hassan, tout le monde rie aux larmes tandis que l’Imam liste ces petits actes de tous les jours, que nous faisons sans y penser, et qui sont contradiction avec l’islam et toutes règles de savoir vivre… Il terminera plus solennellement avant que nous ne nous couchions tard dans la nuit, en rappelant que « le plus grand des pêchers dans la vie qui nous est donnée, est l’inconscience, à commencer par celle des conséquences de nos propres actes »…


L’hygiène du corps et de l’esprit, parmi les principes fondamentaux de l’Islam….

J’ai dormi dans la même chambre que le Cheikh Hassan, sur des matelas et coussins posés sur de magnifiques tapis persans. La nuit a été courte, très courte, réveillés par le premier appel à la prière, deux heures après nous être couchés. Je retrouve les gardes faisant leur toilette à l’eau glaciale d’une source. Les hommes se nettoient les sinus en respirant de l’eau par le nez. Je me suis mis il y a quelques jours par la force des choses, à cette pratique indispensable dans le désert. Avec les vents de sable et de poussières, j’ai attrapé une infection des sinus me faisant pleurer au moindre courant d’air…

 

Sous couvert religieux, de nombreux préceptes islamiques sont relatifs à l’hygiène et à la santé. Il y a bien sûr l’interdiction connue de manger du porc, une viande qui se conserve très mal dans les pays chauds, et qui a été la source d’une épidémie dévastatrice du temps du Prophète. Il y a le moins connu, comme le simple fait de devoir se laver les mains et les pieds cinq fois par jour avant d’aller prier. Et il y a la prière elle-même, qui assainit l’esprit mais aussi le corps... L’autre soir au palais, j’observais le vieux garde du portail, seul au loin au milieu de la cour. Je regardais l’homme poser son fusil et ses cartouchières, se frotter le visage, et commencer sa prière. Sorti du contexte religieux, je vis de loin un vieil homme se tenir debout, se baisser, s’accroupir, poser la tête sur le sol, se relever, et recommencer plusieurs fois… Sorti du contexte religieux, je vis de loin un vieil homme en excellente forme physique pour son âge, faire des mouvements de gymnastique, et les faire avec d’autant plus de facilité qu’il fait sa « gym » cinq fois par jour…

 
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Une cérémonie sous haute surveillance...

Une cérémonie sur le toit rasé d’une montagne, placée sous très haute surveillance…

La tribu s’est rassemblée autour de l’Imam dans la pièce principale de la résidence, pour attendre l’aube. La nuit est fraîche, et nous sommes tous emmitouflés dans des couvertures sur des coussins de soie, autour d’un immense plateau de thé fumant. L’Imam me garde près de lui. Il est ravi de « faire la connaissance d’un chrétien occidental, dans une contrée musulmane aussi reculée ». « Si tu restes quarante jours à mes côtés » dit-il en riant, « tu deviendras un vrai musulman ! ». Un garde entre dans la pièce au même moment dans l’éclat de rire général. Le bédouin nous alerte des premières lueurs du jour. Et toute la tribu se lève comme un seul homme pour aller admirer le lever du soleil sur l’Arabie Saoudite toute proche, qui nous nargue à quelques jets de pierres... D’autres tribus de la région sont arrivées jusque tard dans la nuit, et le petit village est complètement embouteillé de 4x4…

 

Des processions continues se forment tôt le matin, derrière les Cheikhs des différentes tribus, pour monter en file indienne jusqu’au lieu de la cérémonie. Les montagnes sont si acérées, que les yéménites des villages alentours ont été obligés de raser le toit d’une montagne, pour en faire une piste d’atterrissage. C’est là que va avoir lieu la remise des diplômes de l’école coranique, sous un immense chapiteau dressé pour l’occasion, et devant abriter plus de trois milles yéménites… La cérémonie est sous très haute surveillance. Aux quatre coins de la montagne rasée, des gardes armés de mitrailleuses lourdes et de bazookas, protégent « pour la forme » le chapiteau, d’une éventuelle attaque aérienne du « voisin saoudien » tout proche. Les gardes ont passé la nuit là, dehors, autours d’un feu discret, et pausent fièrement devant mon appareil photo… D’autres gardes du village assurent l’ordre sous le chapiteau, et assoient en rang les bédouins et les enfants des différentes tribus. Les Cheikhs qui subventionnent l’école, le Cheikh Hassan en tête, sont conviés aux places d’honneurs sur le côté...

 

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Les Cheikhs sont aux places d'honneur...

Un rideau de voile blanc se lève sur la scène, et le spectacle commence. Des étudiants jouent des scènes de colères et de violences de la vie quotidienne. Des jambiyas sont dégainés, et les belligérants prêts à en découdre se figent lorsqu’un troisième étudiant lit dans un Coran géant posé sur un large pupitre, les passages correspondants devant ramener à la raison… Les spectacles se succèdent, et l’un d’entre eux me met assez mal à l’aise. Un bédouin habillé en palestinien, menotté sur une chaise dans une prison israélienne, est interrogé et assassiné devant ses enfants par un étudiant déguisé en officier israélien.

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Des yéménites déguisés, jouent une scène où une famille palestinienne est opressée par l'armée israelienne...

J’hésite à faire des photos de cette scène, bien que des gardes me le proposent comme pour me demander d’en figer l’injustice pour l’éternité… A côté de moi, un garde d’une trentaine d’années, pleure à chaudes larmes…

 

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L’Arabie Saoudite et le Yémen, deux pays frères qui s’aiment jusqu’à la haine…

Le spectacle principal, beaucoup plus drôle celui-ci, témoigne des rapports ambigus nourris entre l’Arabie Saoudite et le Yémen. Au-delà de leurs problèmes frontaliers incessants liés à l’exploitation du pétrole, l’Arabie Saoudite riche de ses pétrodollars, et plus avancée que ses voisins, représentent le grand frère que les yéménites aiment jusqu’à la haine. Et les saoudiens eux, s’ils méprisent le monde arabe en général, admirent et craignent à la fois l’attachement aux traditions, et les qualités guerrières des yéménites.

 

12Allocution de l'Imam de l'école...

Le spectacle raconte l’histoire de deux marchands saoudiens qui ont tout perdu, et qui arrivent au Yémen pour ouvrir un commerce et tenter de refaire fortune. La pièce, pleine d’humour et d’autocritique, se moque à la fois de la « préciosité » des deux Saoudiens, et de la « rusticité » du Yémen, au travers du paysan yéménite qu’ils emploient pour toutes leurs basses besognes. Toute la salle rie à gorges déployées à chaque remarque outrée des deux saoudiens sur la saleté du pays, le caractère parfois rustre des Yéménites, et rusticité de certaines de leurs traditions. Et même le Cheikh Hassan, qui sourie rarement, rie aux larmes à chaque nouvelle bêtise de l’employé yéménite, qui boit dans l’eau d’un crachoir, ou renverse en trébuchant, un pot de chambre sur ses employeurs...


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Allocution de l'Imam de l'école...

L’intervention de clôture de l’Imam, et la remise des diplômes aux enfants…

L’Imam immense et rondouillard a pris place sur scène, debout derrière un pupitre avec sa kalachnikov en bandoulière. Protégé du soleil par un élève avec un parapluie, l’homme de foi harangue l’auditoire au micro, avec des discours prônant l’Islam, la fierté nationale et le monde Arabe en général… Tandis qu’il retourne prendre sa place d’honneur aux côtés des Cheikhs, l’Imam me lance un regard interrogateur, comme s’il avait peur que j’interprète mal la violence du ton de son discours. Je salue l’Imam d’un sourire et d’un signe de tête pour son éloquence. Tandis que la salle l’applaudit avec une dignité et un discernement qui manquent cruellement dans les salles où intervient G. W. Bush, lorsqu’il discourt pour vendre de la démocratie et de la liberté au monde, à 20 US$ le baril…

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A la fin des applaudissements, une procession d’enfants vêtus de blanc, un coran à la main, entre par l’arrière du chapiteau. Les jeunes yéménites font plusieurs le tour de la salle en chantant, une peu comme la célébration d’une communion, et terminent en plusieurs rangs assis face à la scène. Deux de leurs professeurs montent sur scène, et commencent la remise des diplômes. Ils appellent un à un les élèves, qui montent sur scène pour venir retirer leur certificat, un livre, et un cadeau sous les applaudissements des Cheikhs et de la salle toute entière...


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23Déjeuner avec les Cheikhs de la région dans l’école du village…
Une brume épaisse envahit les montagnes et le chapiteau vers midi, juste à la fin de la cérémonie. Les bédouins des différentes tribus, quittent le chapiteau en ordre, et descendent vers le village dans un brouillard à couper au couteau. L’Imam me garde près de lui. Nous sommes conviés avec les Cheikhs de la région et leurs gardes, à un déjeuner dans l’école du village. La brume cotonneuse, comme posée dans la cour de l’école pleine de gardes en armes, donne à l’endroit un caractère irréel. Les fidèles bédouins s’écartent tandis que nous pénétrons dans la classe principale, où nous attendent d’immenses plats de riz et de moutons. L’Imam m’invite à manger en cercle près de lui. Je suis honoré de voir les Cheikhs s’enthousiasmer à chaque phrase d’arabe que je parle en petit nègre, et aux efforts que je déploie pour me faire comprendre. Et tout le monde applaudit en riant quand l’Imam annonce que je vais rester avec lui quarante jours pour devenir un vrai musulman ! Mais trêve de plaisanterie. Nous mangeons en hâte comme a l’accoutumée quelques poignées de riz et de moutons, et laissons la place aux gardes qui attendent leur tour dans la cour. A la sortie de la classe, un bédouin verse de l’eau à la chaîne sur nos mains pour nous les laver, pendant que le Cheikh Hassan assis plus loin au milieu de sa garde rapprochée, se fait interviewer à la caméra par des journalistes yéménites. « C’est à la fois le Cheikh présent le plus important, et le principal promoteur de l’école » me dit fièrement l’Imam…


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Les élèves sont appelés un à un pour venir sur l'estrade, recevoir leur diplôme...

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Le chemin du retour est d’autant plus harassant que nous avons tous peu dormi.

 

Le convoi fait une longue étape au creux des montagnes, sur les bords d’un wadi asséché.

 

Et tandis que nous restons tous assis en cercle, méditatifs, autour du Cheikh Hassan, je repense à ces deux jours de célébration, et à mon séjour dans la tribu Al Tahl.

 

J’ai l’impression que tout cela n’a été qu’un rêve, et m’étonne de me sentir aussi épanoui, immergé dans la culture yéménite.

 

Comme si j’avais déjà vécu au sein d’une tribu dans une vie antérieure, quelque part sur cette terre biblique...

 

Perdu dans mes pensées, je me rappelle le jeune yéménite d’Aden, d’origine éthiopienne comme moi. Lors de nos conversations spirituelles, le garçon m’avait fait part de sa vision de la Vie Eternelle. 

 

Une vision qui, toute enfantine qu’elle soit, résout de nombreuses interrogations pourvu qu’on la médite.

 

Le yéménite au regard vert halluciné et hallucinant, évoquait

« nos âmes, comme autant de rivières et de fleuves,

qui à la fin de nos vies se jettent dans l’océan,

pour renaître ici où là, plus ou moins mélangées de toutes et de tous,

au gré du soleil, des nuages et du vent »…


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Le Cheikh qui promotionne l'école coraniquue, est interviewé au milieu de ses gardes à la fin de la cérémonie...

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