TRAVERSÉE DE LA MANCHE A LA VOILE
Que dire de cette formidable expérience ? J’avais déjà traversé quelques mers, mais toujours en Paquebot.
La Mer Méditerranée… Facile...
La Mer des Caraïbes en croisière sur sur le Mermoz… Une Orgie !
La Mer Baltique, en plein hiver, dont une partie en Brise-Glace… Dantesque !
La Mer de Marmara, de Bursa à Istanbul. Dans le brouillard et à la corne de brume… Très chaud. Dans tous les sens du terme!
C’était là mon baptême à la voile. Invité par Pascale et Philippe, un couple d’amis proches, sur leur Ovni de 14 mètres.
A participer à un rallye à la voile entre Cherbourg et les Needles, sur les côtes anglaises.
Les souvenirs qui me restent de cette traversée de la Manche, le "Channel" comme l'appellent les Anglais, ce sont des émotions.
Comme les touches multicolores d’un pinceau de peinture sur une toile impressionniste…
La sortie de Cherbourg au moteur au Soleil Levant, dans la rade majestueuse et déserte. Seuls au Monde !...
Le maintient du Bateau face au vent le temps de monter les voiles.
Le grondement du moteur qui s’arrête enfin. Et le Bateau qui file dans un souffle. Magique !…
Et puis le Mercalm, en prévision du mal de mer, parce que la Manche, ça bouge tout de même un petit peu ! D’autant que nous aurons tout le week-end « un temps de Brun », comme on dit « dans Ch’Nord » !
17 nœuds de vent de côté (Multiplier par deux et enlever 10% pour convertir en Km/h), le bateau file à 8.5 nœuds au mieux. Philippe est à la barre. Pascale m’a donné deux cachets de Mercalm.
Le froid, la pluie, le vent, la mer qui vous berce, je suis allé m’assoupir dans le carré... Et j’ai Dormi. Avec un grand D ! Car si parfois je dors bien, question sommeil, je suis rarement parti aussi loin. Au cinquième sous-sol, façon « Inception » !
Je ne savais pas que l’on puisse aller aussi profond, et surtout en revenir ! J’ai récupéré deux mois de stress et de fatigue en deux heures de sieste...
"Ca bip de partout !" Je suis réveillé par les alarmes radars. Nous allons traverser le Dispositif de Séparation du Trafic (DST) des Casquets, aussi appelé le "rail" des Casquets.
"La réglementation de la navigation en Manche est nécessaire à cause du grand nombre de bateaux de grande taille y circulant. La mer de la Manche est un des couloirs maritimes les plus fréquentés au monde, correspondant à une fourchette de 200-500 navires qui passent quotidiennement au large du Cotentin." (Wikimanche)
Dans les faits, le « Rail » est un couloir maritime à double sens de peut-être 3 à 4 km de large. Un "Rail" parcourant la manche à l’usage des porte-conteneurs, pétroliers et paquebots. Traverser le « Rail » en voilier, c’est comme traverser l'autoroute en fauteuil roulant au milieu d’un troupeau de « 38 tonnes » !
C’est dans La Manche avec Hong-Kong que l’on rencontre les plus gros trafics de porte-conteneurs, pétroliers et paquebots. Par son statut de bras de mer entre l'océan Atlantique et la mer du Nord, la Manche constitue la principale voie maritime entre l'océan Atlantique et l'Europe du Nord.
Plus de 20 % du trafic mondial des navires déclarés passe par la Manche. Le « Rail », c’est l’autoroute des porte-conteneurs, pétroliers et paquebots!
Réveillé par les alarmes lors du passage du Rail des Casquets... La carte du Traffic sur la Manche, un jour comme les autres...
Philippe est très attentif (nous aussi de fait !) et passe sans cesse des jumelles à la table à carte. Il identifie les porte-conteneurs, pétroliers et paquebots, leurs trajectoires, et leurs vitesses. Il faut viser le bon, et lui passer derrière au plus près pour éviter ceux qui suivent ou qui se cachent derrière. Car ces « bestiaux » là, c’est comme les trains : « Un Porte-Conteneur peut en cacher un autre ! ».
Quand ils sont loin, ils sont déjà gros et semblent faire du sur place. Plus on s’en approche, plus ils n’en finissent pas de grossir, grossir… Et d’aller de plus en plus vite !
L’image lorsque l’on est au milieu du "Rail", de la douzaine de gigantesques navires arrivant sur nous de face me restera longtemps en mémoire. Et que dire des bateaux qui il n’y a pas si longtemps, traversaient le "Rail" dans le brouillard sans instrument à la corne de brume !
Le "Rail des Casquets" est passé, ça se fête ! Nous ne sommes pas encore en vue des côtes anglaises, que la langue a déjà changé. « Winch, proue, poupe, bout, aussières, border, choquer, bâbord, tribord ».
Et je vous fais grâce des rangées de cordes «de pianos» de tous les noms, commandant aux mâts et voiles du navire de part et d’autre du cockpit...
« T’Punch ? ». Ça, je connais, j’arrive !
Nous arrivons peu de temps après aux légendaires Needles, sur les côtes de l’Ile de Wight. Quelques heures ? Quelques Minutes plus tard ?... Difficile à dire sans rester le nez sur sa montre.
L’échelle du temps en bateau est différente de l’échelle terrestre. Un bruit suspect sur le bateau, un changement de vent, un bip d’alerte sur la tablette, une entrée au port ? On passe en l’espace d’un éclair de longues périodes de veille, à des phases de stress et d’activité intenses.
Les Needles, à la pointe occidentale de l'île de Wight, sont une suite mythique de trois pics de craie détachés du littoral par l’érosion. Le phare à la silhouette légendaire des Needles se dresse sur l'une d'entre elles depuis 1859. Le nom de la formation provient d'un quatrième stack en forme d'aiguille qui s'est effondré lors d'une tempête en 1764.
Malgré cela, le nom « Needles » est resté...
Nous dépassons les Needles, au large de la bouée 1H-Bridge, et entrons dans la Mecque britannique de la voile, le Solent. Là se croisent de nombreux pavillons «Bleu» et «White Ensign» que nous retrouverons le lendemain dans le petit port de Yarmouth.
Le Pavillon « Bleu Ensign » est réservé aux retraités et réservistes de la Royal Navy. Le plus prestigieux est le «White Ensign ». Plus correctement appelé « St. George's Ensign » du fait de la représentation de la croix du même nom. Il est le pavillon de la Royal Navy. Le Royal Yacht Squadron et les vaisseaux accompagnant la Reine l'arborent également.
L’entrée dans le Solent ne s’improvise pas. Il faut passer au bon moment par le bon côté, sous peine de faire du sur place !
6 nœuds dans les voiles, 6 nœuds de courant contraire, et il ne vous reste plus qu’à jeter l’encre... Et à attendre une demi journée, 6 heures pour être précis, que le courant s’inverse !
Nous traversons le Solent et remontons l’Hamble River jusqu’à la Marina d’Hambleton, où nous dînons le soir au Royal Air Force Yacht Club.
Le Royal Air Force Yatch Club... So British ! On n’y mange pas très bien, mais ce que l’on retient, c’est la chaleur toute britannique de l’endroit. L’épaisse moquette verte impeccable, les fauteuils moelleux en velours rouge. Les piercings et tatouages des serveuses souriantes en tenue impeccable. Le barman au crane de hooligan qui s’active sur une vraie pompe à bière pour en sortir le précieux Liquide…
J’ai déjà bu des bières dans un pub anglais à la sortie d’Heathrow ou de l’Eurostar. Mais boire une bière au Royal Air Force Yatch Club après une traversée de la Manche, cela a une saveur toute particulière !
Et puis il y a la plongée dans le temps. Les photos d’époques dans le lobby du Royal Air Force Yatch Club, des Spitfires et de leurs pilotes émérites. Des portraits austères, d’un autre temps, d’officiers de la Royale Air Force. Arborant d’épaisses moustaches sorties de « la grande vadrouille », et de larges sourcils remontés en pointes. De vrais masques de guerres !
Nous reprenons le lendemain le Solent en sens inverse pour aller faire la fête « à couple » avec tous les bateaux du rallye, sur un ponton du port de Yarmouth.
Revue de cap, affinage constant du réglage des voiles en fonction des caprices du vent. Tous les bateaux se tirent la bourre au «pouième de nœud», tandis que nous préférons profiter de la traversée autour d’une bouteille de champagne...
Je m’amuse sur le ponton du port de Yarmouth, à écouter se chambrer les équipages qui ont fait la course. Les gagnants fanfaronnent et s’appliquent à enfoncer le clou là où ça fait mal, tandis que les perdants font preuve d’une mauvaise foi sans borne.
Tant au niveau du « pilotage » fin des bateaux que par l’ambiance «Joe Bar Team» qui règne sur le ponton, nous sommes tout près du «milieu motard», et je sais de quoi je parle.
Le temps de sortir l’annexe, et nous partons pour une rapide visite de Yarmouth. Le « crachin local » est un bon prétexte pour terminer au Pub du village devant une bonne pinte. Après ces deux jours de mer qui « ramènent à l’essentiel », je me régale de tout ce qui m’entoure. L’ambiance à la fois sombre et chaleureuse au coin des cheminées du Pub. Le vieux carrelage en pavés d’époque. Les murs de pierres et poutres apparentes. Le barman qui s’active sur de vraies pompes à bière. Le couple de vieux anglais habitués au coin près de la fenêtre. Monsieur lit le journal en buvant une pinte. Madame l’assiste en buvant une pinte. Le sourire attendrissant du vieux couple lorsque je les salue en repartant du Pub...
Les bateaux sont décorés de fanions de toutes sortes. Les plus sérieux arborent les pavillons de courtoisie de tous les pays qu’ils ont traversés. D’autres, les sous vêtements (dixit) de toutes leurs conquêtes féminines. Le ponton est baigné dans une ambiance conviviale où se mêlent dans une même passion pour la mer. Des marins bretons purs et durs, des plaisanciers plus aisés, et un médecin de marine aux milles anecdotes...
L’harbour master, invité, ne manque pas de se joindre à la fête. J’ai beaucoup aimé cet officier de port souriant, abordant les bateaux avec beaucoup de courtoisie pour leur réclamer leur nuitée. Avec invariablement la même formule polie : « I am afraid I will have to ask you some money »...
Election "animée" du meilleur Rhum du ponton... Et analyse des meilleurs chansons et sketchs à l'applaudimètre...
Chaque équipage a préparé un spectacle en costume, tantôt un sketch, tantôt une chanson de répertoire ou de circonstance. Nous chantons « Comme l’Oiseau » emmenant tout le ponton avec nous. Mais le succès à l’applaudimètre reviendra à un remake du Titanic avec une Rose particulièrement poilue. Le tout se terminant par une dégustation destructrice pour élire le meilleur Rhum du ponton.
Elu à l’unanimité dégustateur pour le compte de notre équipage (bizarre ?!), j’ai vu passer des cocktails de toutes les couleurs, du marron au vert fluo. Et je n’ai jamais autant recraché de Rhum de ma vie. Un sacrilège !
Nous repartirons pour Cherbourg le lendemain après midi, après un petit déjeuner très tardif (gueule de bois oblige), partagé sous de timides rayons de soleil avec les goélands de Yarmouth...
Le courant s'est inversé dans le Solent... Le médecin de marine aux milles anecdotes repart pour le Havre...
commentaires