Turkish Kurdistan - Newroz 1998 - Kurdish Chronicles

English translation at the end of the article.

En charette taxi, a travers les steppes du Kurdistan Turc - In a taxi cart, across the steppes of Turkish Kurdistan

En charette taxi, a travers les steppes du Kurdistan Turc - In a taxi cart, across the steppes of Turkish Kurdistan

Le traducteur turc de la police de Van se tourne vers moi.

« Où souhaitez-vous rendre à présent ? ».

« Dans les monts Ararat, près de la frontière Iranienne !».

Le traducteur me regarde stupéfait. Un ange passe, et j’enchaîne sans sourcilier que c’est là, dans ces monts kurdes culminants à plus de 5000 m d’altitude, que l’on situe l’endroit où l’arche de Noé aurait touché terre après 40 jours de déluge ! Le traducteur soupire de dépit, et rapporte ma réponse à l’oreille du chef de la police de VAN. Ce dernier, sec et barbu, écoute le regard impassible derrière une fine paire de lunette. L’homme réfléchit un instant. Puis il susurre quelques mots de réponse au traducteur. J’ai bien tenté de noyer le poisson avec mes histoires de déluge, mais le traducteur me ramène brutalement à la réalité :

« Le chef de la police de Van n’est pas du tout satisfait de votre réponse !!! ».

Ambiance à l'hôtel d'Ercis... - Atmosphere at the Ercis hotel...

Ambiance à l'hôtel d'Ercis... - Atmosphere at the Ercis hotel...

Ambiance à l'hôtel d'Ercis... - Atmosphere at the Ercis hotel...

Ambiance à l'hôtel d'Ercis... - Atmosphere at the Ercis hotel...

Ambiance à l'hôtel d'Ercis... - Atmosphere at the Ercis hotel...

Ambiance à l'hôtel d'Ercis... - Atmosphere at the Ercis hotel...

Nous sommes dix dans la grande salle du restaurant désaffecté aux fenêtres cassées qui nous sert de lieu d’interrogatoire. Il y a Nicolas, mon ami de voyage, six policiers en civil armés jusqu’aux dents, un traducteur « français – turc », le chef de la police de Van, et moi.

Les policiers en civil sont armés de fusils mitrailleurs avec des cartouchières scotchées deux par deux pour recharger plus vite. Un détail anodin qui me fait penser que « c’est du sérieux » ! 

Le Lac de Van... - Lake Van...

Le Lac de Van... - Lake Van...

Nous nous sommes faits « raflés » tôt ce matin dans les rues de Van, au cœur du Kurdistan Turc. Trois Renault break banalisés nous ont embarqués manu militari dans un train d’enfer, jusque dans un restaurant abandonné sur les bords du lac de Van. Le maquillage des véhicules de la police aux couleurs de l’EDF locale ne trompe plus personne, car nous nous sommes faits « caillasser » tout au long du chemin par des enfants sur le bord des routes.

Pas de "Stégosaure" ou autre monstre marin en vue, mais des casernes militaires turques sur les bords du Lac de Van... - No "Stegosaurus" or other sea monster in sight, but Turkish military barracks on the shores of Lake Van...

Pas de "Stégosaure" ou autre monstre marin en vue, mais des casernes militaires turques sur les bords du Lac de Van... - No "Stegosaurus" or other sea monster in sight, but Turkish military barracks on the shores of Lake Van...

Cela fait trois heures que nous nous faisons interroger et que nous répétons inlassablement notre parcours depuis Ankara. Trois heures que nous nous gelons à raconter les mêmes bobards, les mêmes raisons farfelues de notre présence au Kurdistan Turc.

Tout est bon pour essayer de nous faire passer pour des touristes inconscients en mal d’aventure. Je me retiens de pouffer lorsque Nicolas raconte le plus sérieusement du monde, que nous sommes passés par Van pour faire des photos du monstre, un stégosaure d’une quinzaine de mètres, qui hanterait le lac, et anime les conversations alentours.

En 1998 selon reporter sans frontières, la Turquie est le deuxième pays au rang des nations les plus dangereuses pour les journalistes avec plus de 130 reporters portés disparus. Nous devons répondre tout et n’importe quoi, mais surtout ne pas aborder la véritable raison de notre présence au Kurdistan Turc. Ne pas dire que nous sommes là pour essayer de comprendre le conflit qui oppose les Kurdes au gouvernement turc.

Scènes de rue à Ercis... - Street scenes in Ercis...

Scènes de rue à Ercis... - Street scenes in Ercis...

Scènes de rue à Ercis... - Street scenes in Ercis...

Scènes de rue à Ercis... - Street scenes in Ercis...

Bien que conscients de la gravité de la situation, Nicolas et moi ne sommes pas réellement impressionnés par ce qui nous arrive. En partie parce que nous sommes engourdis par le froid et la fatigue, et surtout parce que ces quelques jours passés au Kurdistan nous ont rapidement aguerris !

Périple au sein du Kurdistan Turc... Journey through Turkish Kurdistan...

Périple au sein du Kurdistan Turc... Journey through Turkish Kurdistan...

Dans le bus entre Ankara et Erzurum... - On the bus between Ankara and Erzurum...

Dans le bus entre Ankara et Erzurum... - On the bus between Ankara and Erzurum...

Entre Ankara et Erzurum... - Between Ankara and Erzurum...

Entre Ankara et Erzurum... - Between Ankara and Erzurum...

Entre Ankara et Erzurum... - Between Ankara and Erzurum...

Entre Ankara et Erzurum... - Between Ankara and Erzurum...

A peine débarqué à Ankara, nous avons pris un bus de nuit pour l’Est de la Turquie, et c’est au lever du jour, à mesure que nous pénétrions dans les steppes enneigées du Kurdistan Turc, que les barrages militaires et les contrôles de passeport se sont intensifiés.

Erzurum...

Erzurum...

Erzurum...

Erzurum...

Le Kurdistan, le « Pays des Kurdes », est une région montagneuse et de hauts plateaux d'Asie centrale qui s'étend dans le sud-est de la Turquie, dans le nord-est de l'Irak, dans le nord-ouest de l'Iran, et sur deux petites régions au nord de la Syrie.

Sur ces quatre pays, seuls l’Iran et l’Irak reconnaissent officiellement une région sous la dénomination de « Kurdistan ». Le Kurdistan du Nord, « le Kurdistan Turc », est la partie du Kurdistan la plus importante, avec plus de 40% de sa superficie totale. Et les 11,5 millions de kurdes de Turquie constituent la moitié des Kurdes du Moyen-Orient.

A la sortie d'Erzurum... - At the exit of Erzurum...

A la sortie d'Erzurum... - At the exit of Erzurum...

Il se dit que le Kurdistan Turc, autour du Lac de Van où nous nous trouvons, est la région la plus inhospitalière du Kurdistan. Et que les habitants de cette région sont centrés sur eux-mêmes et ont un fort sentiment tribal. Nous avons ressenti tout le contraire avec des habitants qui bien que stressés par l’omni présence de l’armée Turque, et par ses contrôles incessants et musclés, ont toujours été très hospitaliers avec nous.

Au demeurant, cette région autrefois la plus importante par son agriculture et ses villes commerciales, a été dévasté par cinq siècles de combats, et demeure aujourd'hui la moins développée en matière économique et technologique de tout le Kurdistan.

Autrefois la partie la plus prospère, le Kurdistan Turc autour de Van,  est aujourd'hui après des décennies de conflits, la région du Kurdistan la moins développée... - Formerly the most prosperous part, Turkish Kurdistan around Van, is today, after decades of conflict, the least developed region of Kurdistan.

Autrefois la partie la plus prospère, le Kurdistan Turc autour de Van, est aujourd'hui après des décennies de conflits, la région du Kurdistan la moins développée... - Formerly the most prosperous part, Turkish Kurdistan around Van, is today, after decades of conflict, the least developed region of Kurdistan.

Autrefois la partie la plus prospère, le Kurdistan Turc autour de Van,  est aujourd'hui après des décennies de conflits, la région du Kurdistan la moins développée... - Formerly the most prosperous part, Turkish Kurdistan around Van, is today, after decades of conflict, the least developed region of Kurdistan.

Autrefois la partie la plus prospère, le Kurdistan Turc autour de Van, est aujourd'hui après des décennies de conflits, la région du Kurdistan la moins développée... - Formerly the most prosperous part, Turkish Kurdistan around Van, is today, after decades of conflict, the least developed region of Kurdistan.

A la descente du bus, après un rapide arrêt à Erzorum, nous avons repris la route vers le Sud en direction du Lac de Van.

Séances de stop dans le Kurdistan Turc... - Hitchhiking sessions in Turkish Kurdistan...

Séances de stop dans le Kurdistan Turc... - Hitchhiking sessions in Turkish Kurdistan...

C’est lors de séances de stop dantesques, de voitures en calèches, par petits saut de puces, que nous avons pu apprécier et découvrir le peuple kurde.

Un peuple chaleureux, toujours enclin à nous rendre service et à vouloir nous héberger.

Séances de stop dans le Kurdistan Turc... - Hitchhiking sessions in Turkish Kurdistan...

Séances de stop dans le Kurdistan Turc... - Hitchhiking sessions in Turkish Kurdistan...

Je me rappelle l’homme qui nous a pris en stop et qui tombe en panne de voiture. Nous n’avons pas le temps d’essayer de l’aider qu’il arrête la première voiture qui passe pour nous mettre dedans sans se soucier de lui-même. Il y a le jeune kurde qui nous embarque dans sa « charrette taxi ».

Nous terminons dans sa famille autour d’un plateau de thé, de riz et de yaourt. Il y a ces invitations incessantes de familles Kurdes, que nous croisons à pieds le long des routes. Des invitations par des familles kurdes démunies à partager le peu qu’elles possèdent.

Et quand ils sont un peu plus aisés, les kurdes que nous rencontrons demandent fièrement à être photographiés devant la biquette de la famille ou le camion qui fait vivre le hameau…

Entre Erzurum et Ercis... - Between Erzurum and Ercis...

Entre Erzurum et Ercis... - Between Erzurum and Ercis...

Entre Erzurum et Ercis... - Between Erzurum and Ercis...

Entre Erzurum et Ercis... - Between Erzurum and Ercis...

Et puis il y a la vision surréaliste des patrouilles militaires turques, arpentant les steppes enneigées en file indienne. Des patrouilles qui au court d’un contrôle et d’une fouille en règles de nos sacs, nous a délesté avec courtoisie de nos vivres, avant de nous faire embarquer dans le premier taxi qui passait pour se débarrasser de touristes encombrants en zone de guerre.

Jamais de tous mes périples je n’avais vu une présence militaire aussi intense. Une omni présence de l’armée qui nous rappelle que nous sommes en 1998, au plus fort du conflit entre le gouvernement turc et les indépendantistes du PKK, dans une zone frontalière où se côtoient sous haute tension l’Iran, l’Irak, la Turquie, la Syrie, et l’ex URSS !!!.

Scènes de la vie quotidienne à Ercis... - Scenes of daily life in Ercis...

Scènes de la vie quotidienne à Ercis... - Scenes of daily life in Ercis...

Scènes de la vie quotidienne à Ercis... - Scenes of daily life in Ercis...

Scènes de la vie quotidienne à Ercis... - Scenes of daily life in Ercis...

L’hospitalité n’excluant pas la méfiance, les Kurdes que nous rencontrons font très attention à ce qu’ils nous disent. Tous se considèrent Kurdes avant d’être Turcs. Et même s’ils n’approuvent pas ouvertement les actes terroristes du PKK, ils expriment, en particulier les jeunes, un fort sentiment nationaliste. Les revendications autonomistes des Kurdes ont été modelées par le déni de leur identité et de leur culture depuis près d’un siècle ! 

A la création de la République turque dans les années 20, les autorités interdisent la langue et les noms de famille kurdes. Le mot « kurde » lui-même est interdit et les Kurdes sont appelés les « Turcs des montagnes ». Face à cette négation de l'identité kurde, les Kurdes se sont soulevés à plusieurs reprises et ont été à chaque fois violemment réprimés par l'armée turque.
 

Kurdistan Turc... - Turkish Kurdistan...

Kurdistan Turc... - Turkish Kurdistan...

Notre première nuit au Kurdistan nous fera vite oublier le charme du peuple kurde pour nous plonger dans la réalité brutale du conflit qui oppose le PKK au gouvernement turc. Après avoir mangé un plat de riz dans une gargote sous le regard effaré de jeunes kurdes se demandant ce que deux français égarés peuvent faire ici, nous rejoignons notre petite chambre dans un hôtel de misère. Il n’y a pas d’électricité. Nic regarde la carte de la Turquie à la frontale allongé sur son lit. Je repense à notre journée allongé sur le mien, et revois les sourires narquois des militaires nous prenant nos rations… Quand tout à coup, la chambre tout entière se met à vibrer. 

« C’est un tremblement de terre ?! » demande Nicolas en se levant d’un bond. Je connais ce tremblement de terre qui vous prend aux trippes. Je l’ai déjà vécu pendant mon service militaire en forêt noire. Mais à l’époque c’était un jeu. « Non, Nic, C’est des Tanks ! »… Nous nous précipitons à la fenêtre et sommes pris d’un sentiment d’effroi en découvrant la colonne de chars blindés qui traverse « au chausse pied » les ruelles de la ville. Nous regardons la scène derrière le rideau de la fenêtre pour ne pas être repéré par les projecteurs qui balayent les façades des maisons. Et je pense aux enfants kurdes tremblant de peur dans leurs lits, tandis que passent dans les rues les monstres de fer…
 

Villages du Kurdistan Turc... - Villages of Turkish Kurdistan...

Villages du Kurdistan Turc... - Villages of Turkish Kurdistan...

Nous avons tenté de rattraper les chars dehors pour les prendre en photo au détour d’une ruelle. Sans succès. Je me rends compte aujourd’hui à quel point nous étions inconscients. Nous retournons nous coucher mais ne sommes pas au bout de nos peines.

Passé une heure du matin, nous entendons tambouriner à la porte. On entend parler turc sans rien y comprendre. Nicolas crie plus fort que les voix derrière la porte. On entend crier « Police », et je m’en vais ouvrir avec les passeports à la main pour un énième contrôle. Dans un charabia de turc et d’anglais, nous comprenons que nous ne sommes pas les bienvenus ici et que nous devons quitter la ville le lendemain à l’aube.

Villages du Kurdistan Turc... - Villages of Turkish Kurdistan...

Villages du Kurdistan Turc... - Villages of Turkish Kurdistan...

Villages du Kurdistan Turc... - Villages of Turkish Kurdistan...

Villages du Kurdistan Turc... - Villages of Turkish Kurdistan...

Le lendemain, après avoir longuement serré les mains des enfants qui nous ont accompagné joyeusement jusqu’à la sortie du village, nous retrouverons les chars de la veille, parqués en rang d’oignon devant une caserne au milieu des steppes.

Je me revois essayant de les prendre en photo caché derrière Nicolas. Puis un quart d’heure plus tard, en train d’essayer de brûler la pellicule à l’intérieur même de la caserne où nous avons été invités à entrer pour une fouille en règle, les mains en l’air au bout d’un fusil mitrailleur.

Je profiterai d’un moment d’inattention de l’officier contrôlant nos passeports, pour retirer mon blouson en dissimulant mon Pentax 90 WR que je ferai tomber dans mon sac, tout en ouvrant discrètement la trappe arrière pour voiler les photos...

Photos "à la volée" de chars devant une caserne militaire turque que je tenterai de brûler pendant une fouille.... - “On the fly” photos of tanks in front of a Turkish military barracks that I will try to burn during a search....

Photos "à la volée" de chars devant une caserne militaire turque que je tenterai de brûler pendant une fouille.... - “On the fly” photos of tanks in front of a Turkish military barracks that I will try to burn during a search....

Le soulèvement kurde sous forme de guérilla qui sévit depuis 1984 dans le Kurdistan Turc est le fait du PKK, le « Parti des travailleurs du Kurdistan ». Le PKK est une organisation armée formée en 1978 par Abdullah Öcalan. Ce dernier, que l’on surnomme ici « Apo », « l’Oncle » en Kurde, réclame l'indépendance des territoires à population majoritairement kurde se situant dans le sud-est de la Turquie.

Entré dans une guerre ouverte contre l’armée turque dans le Kurdistan turc, le PKK mène dans le reste du pays des actions contre les autorités et les intérêts touristiques turcs, sous forme d’attentats et d’enlèvements dans les stations balnéaires et centres commerciaux. L’organisation indépendantiste est placé sur la liste officielle des organisations terroristes du Canada, des Etats Unis, de l'Union européenne, de l'Australie, et du Royaume-Uni.

Traversées de villages du Kurdistan Turc... - Crossing villages in Turkish Kurdistan...

Traversées de villages du Kurdistan Turc... - Crossing villages in Turkish Kurdistan...

En 1991, le PKK contrôlait sans réelle résistance une large portion du sud-est anatolien. Avec la prise en main des opérations anti-PKK par l’armée, le PKK a entamé un recul progressif, laminé par les patrouilles militaires quadrillant les steppes, et affamé par une stratégie de la terre brulée.

En quelques années, l’armée turque a vidé 4000 villages de leurs habitants, coupant le PKK de ses soutiens dans la population, et par la même occasion, de ses circuits de ravitaillement clandestins. Au moment où nous traversons le Kurdistan Turc, le fondateur du PKK, Abdullah Öcalan, réfugié à Damas depuis plusieurs années d’où il dirige les combats, va bientôt gagner l'Europe et la Russie où il restera plusieurs semaines pour défendre la cause Kurde.

Le lobbying d’Abdullah Öcalan, couplé à des intérêts géopolitiques internationaux a porté ses fruits. Car le PKK n'aurait jamais pu mener une lutte d'une telle envergure, et durant si longtemps, sans l'appui extérieur de certains États. Dans les faits, le PKK a reçu l’aide matérielle des principaux opposants à la Turquie et au bloc de l’Ouest : l’URSS, l’Arménie, la Grèce et la République grecque de Chypre.

Sur les bords du Lac de Van, la veille de notre interrogatoire par la police secrète turque... - On the banks of Lake Van, the day before our interrogation by the Turkish secret police...

Sur les bords du Lac de Van, la veille de notre interrogatoire par la police secrète turque... - On the banks of Lake Van, the day before our interrogation by the Turkish secret police...

Retour à notre interrogatoire dans notre restaurant désaffecté du Lac de Van. Le traducteur, fin diplomate, tient le rôle du « gentil » tandis que les gardes tiennent à tour de rôle celui du « pitt bull » à la recherche de la moindre incohérence dans nos réponses. Un garde nous traite d’espions en brandissant la carte qu’il a prise dans ma poche, car cette dernière ne représente que la partie Est de la Turquie. Je le fais taire en répondant au traducteur que le pays est trop grand pour tenir sur une seule carte, ce que je m’empresse de prouver en sortant de mon sac la carte de l’Ouest de la Turquie. Un vrai sketch !...

Le manège prend fin au retour de l’homme parti pendant 2 heures avec nos passeports pour enquête et vérification de nos identités. Ce dernier annonce au chef de la police de van qu’il n’y a rien à craindre nous concernant. La tension retombe et j’arrive même à dérider nos geôliers en leur racontant que je connais Miss Turquie pour avoir présenté en sa compagnie à la presse automobile turque, un nouveau véhicule de la maque pour laquelle je travaillais à l’export à l’époque.

Arrivée à Bitlis. L’officier du check point nous dit d’un ton menaçant que nous devons passer la nuit à l’hôtel Adana et que nous devons quitter la ville le lendemain à l’aube…  - Arrival in Bitlis. The checkpoint officer told us in a threatening tone that we had to spend the night at the Adana hotel and that we had to leave the city the next day at dawn…

Arrivée à Bitlis. L’officier du check point nous dit d’un ton menaçant que nous devons passer la nuit à l’hôtel Adana et que nous devons quitter la ville le lendemain à l’aube… - Arrival in Bitlis. The checkpoint officer told us in a threatening tone that we had to spend the night at the Adana hotel and that we had to leave the city the next day at dawn…

Plus détendu, le traducteur Turc commence à s’épancher sur les raisons de notre arrestation. La police turque est sur les dents car nous sommes à l’aube de Newroz, la fête du Printemps. Newroz, « le nouveau jour en Kurde », est une fête très prisée par les Kurdes et les peuples du sud de la Mer Caspienne. Elle est célébrée depuis 3000 ans et est profondément enraciné parmi les rituels et les traditions du zoroastrisme. Les Kurdes célèbrent le Newroz entre les 18 et 21 mars et le considèrent comme la fête la plus importante de l'année.

Chaque année, le jour du Newroz, les Kurdes allument des feux et s’habillent de vêtements verts, jaunes et rouges qu'ils considèrent comme les couleurs du peuple kurde. Et ils dansent pour fêter la victoire de la liberté sur la tyrannie, en mémoire de la victoire de « Kawa le forgeron sur le roi Zohac ». Selon la légende, « Le roi Zohac, affligé aux épaules de deux serpents, faisait sacrifier tous les matins deux jeunes gens pour nourrir ses monstres de cervelle humaine. Trois chevaliers, déguisés en médecins, réussirent à épargner une victime sur deux en substituant sa cervelle à celle d'un mouton.

Le survivant s'enfuyait dans les montagnes, et de ces milliers de fugitifs naquit le peuple kurde. Jusqu’au jour de Newroz où un forgeron nommé Kawa, dont seize fils avaient été sacrifiés, se révolta quand son dernier enfant fut capturé. Kawa s'infiltra dans le château de Zohak, tua le roi, et libéra ainsi son peuple du joug de la tyrannie. Partout on alluma des feus et on dansa autour pour fêter la mort du tyran et célébrer l'exploit de Kawa ».
 

Bitlis...

Bitlis...

Compte tenu de sa forte connotation identitaire, les festivités du Newroz ont longtemps été interdites en Turquie. En 1992, plus de 70 personnes ont été tuées par l'armée turque alors qu'elles célébraient le Newroz. Comprenant qu’il n’arriverait pas à faire disparaître Newroz par la force, le gouvernement turc décida un temps à la fin des années 90 de changer de stratégie en tentant de récupérer la fête. Newroz fût rebaptisée "Nevruz", et transformée en une fête « légale » turque, avec une nouvelle mythologie. Mais la manipulation fût un échec, car Nevruz fût à la fois boudée par les kurdes, et ignorée par les Turcs. De sorte que le gouvernement reparti en guerre contre le Newroz, réprimant brutalement les célébrations kurdes au sein du Kurdistan.

Et, pour ne pas se mettre à dos une grande majorité de kurdes modérés, le gouvernement se mit à diffuser sur les chaînes nationales des films de propagande pour discréditer Newroz. A la télévision, nous avons vu des images violentes de célébrations, montrant des kurdes sautant au dessus de brasiers et tirant au fusil mitrailleur dans les rues.

Et bien que les reportages TV étaient censés se dérouler autours de Van, nous n’avons rien vu de cela. Je donne au passage peu cher de la peau d’un Kurde armé d’un fusil mitrailleur dans les rues autours de Van !

Diyarbakir...

Diyarbakir...

La scène de propagande la plus burlesque à laquelle nous assisterons devant des kurdes hilares, se déroulera à Diyarbakir. Diyarbakır est la ville la plus importante du sud-est de la Turquie. Les Kurdes qui constitue la majeure partie de ses 850 000 habitants, considèrent la ville comme la capitale du Kurdistan turc.

Nous assisterons dans un hôtel de Diyarbakir en direct à la télévision, à une manifestation d’indépendantistes Kurdes censée passer juste devant notre hôtel sous un beau soleil, alors que par la fenêtre au même moment, il pleuvait des cordes dans les rues désertes d’une fin de journée de couvre-feu.

Diyarbakir...

Diyarbakir...

Diyarbakir...

Diyarbakir...

Le chef de la police de van clôt l’interrogatoire et susurre quelques mots à l’oreille du traducteur que ce dernier s’empresse de nous rapporter : « le chef de la police vous invite fortement à aller dépenser votre argent dans les discothèques d’Antalya ».

Nous n’avons pas le temps de dire « ouf » que les gardes nous emmènent dans un train d’enfer à bord de leurs breaks banalisés. Dehors, les enfants recommencent à nous jeter des pierres. En voiture, un garde sympathise avec moi car il est persuadé avec mon teint méditerranéen, que je suis d’origine turque. Le garde me lâche que les journalistes français, et madame Mitterrand en particulier qui défend la thèse du génocide arménien, ne sont pas les bienvenus dans cette zone. « J’opine du chef » faute de mieux tandis que Nicolas demande au chauffeur où nous allons ?

En guise de réponse, les policiers arrêtent un bus en queue de poisson et nous font monter à bord…

Chars turcs sur la route de Van à Tatvan... - Turkish tanks on the road from Van to Tatvan...

Chars turcs sur la route de Van à Tatvan... - Turkish tanks on the road from Van to Tatvan...

Les passagers kurdes dans le bus nous regardent tous de travers, interpellés par la façon dont nous avons embarqué. Le bus va vers l’Ouest. Plus précisément à Tatvan de l’autre côté du Lac, par la route Sud.

Nous n’aurions visiblement pas pu prendre cette route en stop ou à pieds comme nous l’envisagions. Nous sommes arrêtés tous les deux kilomètres par des check points militaires avec contrôle de passeport et comptage systématique des passagers.

Le Lac lui-même, entouré de garnisons, sert de base arrière à l’armée turque. Le long de la route, dos au Lac, des chars d’assauts postés tous les kilomètres, pointent leurs canons menaçants vers les montagnes abruptes de l’autre côté de la route.

Bitlis...

Bitlis...

A la descente du bus à Tatvan, Nicolas m’emmène dans un petit restaurant de bord de route. Nous avons passé la matinée à se faire interroger dans un froid de canard, et il est vrai qu’il commence à « faire faim ».

A peine assis, deux hommes en tenue « d’inspecteur gadget », vraisemblablement de la police, entrent dans le restaurant et s’assoient à deux tables de nous en nous dévisageant du coin de l’œil. Le patron du restaurant qui a vu le manège, baisse les yeux en s’affairant à essuyer ses verres. C’en est trop !

Je dis à Nicolas que nous mangerons plus tard. Nous sortons du restaurant, suivis par nos deux nouveaux chaperons, que nous semons à la sortie de la ville à bord d’un Taxi collectif en route pour Bitlis…

Bitlis...

Bitlis...

Selon la croyance populaire, le nom de la ville de Bitlis provient d'un général macédonien sensiblement du même nom, auquel Alexandre le Grand aurait confié la  construction d'une forteresse à l'emplacement de la ville actuelle.

Bitlis est plus funestement connue pour avoir été un haut lieu du génocide arménien. Au début du siècle, à la veille du génocide, un tiers de la population de Bitlis était arménienne. En 1915, Turcs et Kurdes massacrent 15 000 Arméniens. L'ampleur des massacres et leur violence sont telles que le général turc Vehib pacha parle en 1918 d'« un exemple d'atrocité qui ne s'est jamais produite dans l'histoire de l'islam ».

Aujourd’hui, Bitlis et les villages alentours représentent une agglomération de 65 000 habitants peuplée majoritairement de Kurdes. Des kurdes qui tentent de vivre paisiblement au milieu de témoignages architecturaux traditionnels et médiévaux uniques dans l'est de la Turquie.
 

Bitlis...

Bitlis...

Le taxi est arrêté à un nouveau check point à l’entrée de Bitlis. L’officier de faction, contrôle l’identité des passagers, s’attardent sur nous, et emmène nos passeports dans sa guérite en grommelant. Je crains le pire. L’officier revient plus d’une demi heure plus tard avec nos passeports.

C’est long une demi-heure entassés dans un taxi collectif, avec des kurdes qui vous dévisagent en se demandant qui vous êtes, et qui s’agacent de poireauter à un check point à cause de vous ! L’officier nous dit d’un ton menaçant que nous devons passer la nuit à l’hôtel Adana et que nous devons quitter la ville le lendemain à l’aube…

Bitlis...

Bitlis...

Condamné à ne rester à Bitlis qu’une douzaine d’heure, dont les trois quart sous couvre-feu, nous déposons rapidement nos affaires à l’hôtel et parcourrons au pas de course les nombreux monuments médiévaux islamiques de la ville au style architectural du début de l'ère seldjoukide.

La Grande mosquée Ulu Camii du XIIe siècle et son minaret du XVe, l'école coranique Gokmeydani Medresesi et la mosquée Şerefiye, datant du XVIe siècle. D’avant le génocide arménien, il n’existe plus qu’une église arménienne du XIXe siècle qui n’ait pas été rasée, et qui sert aujourd'hui d'entrepôt...

Bitlis...

Bitlis...

A la télévision le soir pendant le couvre-feu, avec les kurdes de l’hôtel, nous avons droit à de nouvelles images de propagande « anti Newroz », montrant des policiers ensanglantés d’avoir contenu une manifestation kurde.

Les kurdes avec nous regardent la télévision impassibles, dans un silence de mort. Mais le sujet principal du journal télévisé est un minuscule rocher que se disputent la Turquie et la Grèce au milieu de la Mer Egée. Le conflit est présentée à grand coup de jingles guerriers hollywoodiens, dans un style « Desert Storm » et « Restore Hope » étonnamment avant-gardiste pour l’époque.

Bitlis...

Bitlis...

A l’aube, la police tambourine à notre porte et nous jette dans le premier bus au départ pour Diyarbakir. Le bus est plein. L’ambiance semble se détendre à mesure que nous roulons vers l’Ouest, et nous sympathisons avec des familles kurdes lors des pauses carburants et restaurations.

Même les check points militaires se font plus rares. Les paysages défilent dans une alternance de déserts rocailleux et de bosquets d’arbres touffus.

Le bus file à travers les hauts plateaux quand au milieu d’un nouveau bosquet, des militaires en travers de la route stoppent le bus, et le détournent dans un sous-bois boueux où nous attend une garnison de jeunes soldats en armes. Je le sens mal, comme dans les films d’horreur, quand le tueur réapparait après le « happy end ».

« Nicolas, dis-moi que tu as bien jeté ta carte de presse ». Nicolas s’est fait faire une vraie fausse carte de presse par un ami travaillant au journal « Le Monde » avant notre voyage au Kurdistan. Nous pensions qu’elle pourrait nous servir de sésame. Nous avons vite compris à Van, dès les premières questions de notre interrogatoire, qu’il valait mieux ne pas apparaître comme des journalistes, français de surcroît.

Nicolas avait feint une envie pressante pour s’en débarrasser. « Le garde ne pas lâché aux toilettes » me répond Nicolas en se mordillant les lèvres. « Je l’ai toujours »…
 

Bitlis...

Bitlis...

Un sous-officier nous hurle de sortir du bus. Les hommes et les femmes sont séparés à la pointe du fusil de part et d’autre du bus. Un vieil homme kurde veut rassurer son épouse apeurée, mais il est repoussé à coup de crosses sous les cris et les pleurs des femmes. Les soldats qui nous tiennent en joue ont l’air plus terrorisé que nous. 

Ce sont visiblement de jeunes turcs faisant leurs deux ans de service militaire. L’ambiance est électrique. On sent qu’il suffit d’un malentendu, d’une balle tirée par un doigt tremblant, pour personne ne ressorte vivant de ce sous-bois boueux.

Le sous-officier, militaire de métier avec une tête de tueur, hurle les ordres. Il commence à faire fouiller les hommes, tandis que l’officier en charge de la garnison, fait ouvrir les soutes du bus. Le sous-officier éventre les sacs baluchons des passagers au poignard pour les fouiller, et marque un temps d’arrêt en découvrant nos sacs à dos qui tranchent avec les bagages kurdes.

Le chauffeur saisit intelligemment cet instant d’hésitation pour me demander assez fort d’où je viens. Je lui réponds que nous sommes des touristes français, suffisamment fort pour être entendu de l’officier et du sous-officier.

L’officier fait instantanément arrêter la fouille des hommes et des bagages et fait remonter tout le monde dans le bus. Je reste effaré devant l’officier et son « pit-bull de sous off » qui nous serrent la main et nous souhaitent bon voyage avant de remonter dans le bus.
 

En stop avec un étudiant se faisant de l'argent de poche en transportant le quotidien Sabah sur les routes du Kurdistan Turc... - Hitchhiking with a student making pocket money carrying the Sabah daily newspaper on the roads of Turkish Kurdistan...

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ÉPILOGUE : Le bus quitte le sous-bois boueux pour reprendre sa route vers Diyarbakir. Le chauffeur nous lance un large sourire complice dans son rétro viseur. Des hommes kurdes nous remercient, d’autres viennent nous taper sur l’épaule, une vieille femme aux cheveux recouverts d’un fichu, nous bénit en levant les mains au ciel…

J’ai eu réellement peur trois fois dans toute ma vie de voyageur aventurier. L’une des trois aura été cet épisode dans ce sous-bois à l’écart de la route… Nicolas reste silencieux. Les mots nous manquent pour exprimer le grand écart que nous ressentons. Ecœurement, soulagement, tristesse... Nous sommes écœurés de nous sentir égoïstement soulagé de quitter le Kurdistan sans bobos, alors que nous laissons derrière nous le peuple Kurde à son triste sort…

 

Notre bus poursuit paisiblement sa route vers l’ouest tandis que Abdullah Öcalan, le Leader du PKK, parti chercher du soutien à travers le monde pour défendre la cause Kurde, se fera arrêter dans quelques semaines au Kenya avec la collaboration des services secrets israéliens, de la CIA, et des services secrets turcs (MIT).

Avec la condamnation de prison à perpétuité du chef du PKK, les affrontements diminueront d'intensité, avec notamment le repli des troupes du PKK dans les Kurdistan Iranien et Irakien. Suite à son emprisonnement, Abdullah Öcalan, décrétera un cessez-le-feu unilatéral en 1999.

Bitlis...

Bitlis...

Turkish Kurdistan - Newroz 1998 - Kurdish Chronicles

The Turkish translator from the Van police turns to me.

“Where do you want to go now?” ".

“In the Ararat Mountains, near the Iranian border!”

The translator looks at me stunned. An angel passes, and I go on without blinking an eye that it is there, in these Kurdish mountains culminating at more than 5000 m above sea level, that we locate the place where Noah's ark would have touched ground after 40 days flood! The translator sighs with annoyance, and reports my answer in the ear of the VAN police chief. The latter, lean and bearded, listens with an impassive gaze behind a thin pair of glasses. The man thought for a moment. Then he whispers a few words of response to the translator. I tried to drown it out with my flood stories, but the translator abruptly brought me back to reality: “The Van police chief is not at all satisfied with your answer!!! ".

There are ten of us in the large room of the disused restaurant with broken windows which serves as our interrogation site. There is Nicolas, my traveling friend, six plainclothes police officers armed to the teeth, a “French-Turkish” translator, the Van police chief, and me. The plainclothes police officers are armed with machine guns with cartridge belts taped two by two to reload more quickly. A trivial detail that makes me think “this is serious”!

We were “rounded up” early this morning in the streets of Van, in the heart of Turkish Kurdistan. Three unmarked Renault station wagons took us manu militari on a hellish train, to an abandoned restaurant on the banks of Lake Van. The makeup of the police vehicles in the colors of the local EDF no longer fools anyone, because we were “stoned” all along the way by children on the side of the roads.

We have been interrogated for three hours and have tirelessly repeated our route from Ankara. Three hours that we froze telling the same lies, the same crazy reasons for our presence in Turkish Kurdistan. Everything is good to try to make us pass off as unconscious tourists looking for adventure. I hold back from giggling when Nicolas says in all seriousness that we went through Van to take photos of the monster, a stegosaurus about fifteen meters long, which is said to haunt the lake, and livens up the surrounding conversations. In 1998, according to the “Reporter Without Borders” association, Turkey was the second most dangerous nation for journalists, with more than 130 reporters missing. We must answer anything and everything, but above all not address the real reason for our presence in Turkish Kurdistan. Not to say that we are here to try to understand the conflict between the Kurds and the Turkish government.

Although aware of the seriousness of the situation, Nicolas and I are not really impressed by what is happening to us. Partly because we are numbed by the cold and fatigue, and above all because these few days spent in Kurdistan have quickly hardened us!

As soon as we landed in Ankara, we took a night bus to Eastern Turkey, and it was at daybreak, as we entered the snowy steppes of Turkish Kurdistan, that the military roadblocks and controls of passports have intensified.

Kurdistan, the "Land of the Kurds", is a mountainous and highland region of Central Asia extending into southeastern Turkey, northeastern Iraq, and northwest of Iran, and on two small regions in northern Syria. Of these four countries, only Iran and Iraq officially recognize a region under the name “Kurdistan”. Northern Kurdistan, “Turkish Kurdistan”, is the most important part of Kurdistan, with more than 40% of its total area. And the 11.5 million Kurds in Turkey constitute half of the Kurds in the Middle East.

It is said that Turkish Kurdistan, around Lake Van where we are, is the most inhospitable region of Kurdistan. And that the people of this region are self-centered and have a strong tribal feeling. We felt quite the opposite with residents who, although stressed by the omnipresence of the Turkish army, and by its incessant and muscular controls, were always very hospitable to us. Moreover, this region, once the most important for its agriculture and its commercial cities, was devastated by five centuries of fighting, and today remains the least developed in economic and technological terms in all of Kurdistan.

Getting off the bus, after a quick stop in Erzorum, we took the road south towards Lake Van.

It was during Dantesque hitchhiking sessions, from cars to carriages, in small leaps, that we were able to appreciate and discover the Kurdish people. A warm people, always inclined to be of service to us and willing to accommodate us.

I remember the man who hitched a ride with us and his car broke down. We don't have time to try to help him when he stops the first car that passes to put us in without worrying about himself. There is the young Kurd who takes us into his “taxi cart”. We finish with his family around a tray of tea, rice and yogurt. There are these incessant invitations from Kurdish families, whom we pass on foot along the roads. Invitations by poor Kurdish families to share what little they have. And when they are a little better off, the Kurds we meet proudly ask to be photographed in front of the family biquette or the truck that keeps the hamlet going...

And then there is the surreal vision of Turkish military patrols, surveying the snow-covered steppes in single file. Patrols who, after a regular check and search of our bags, courteously relieved us of our food, before putting us in the first taxi that passed to get rid of cumbersome tourists in a war zone . Never in all my travels had I seen such an intense military presence. An omnipresent presence of the army which reminds us that we are in 1998, at the height of the conflict between the Turkish government and the PKK separatists, in a border area where Iran, Iraq, Turkey, Syria, and the former USSR!!!.

Hospitality does not exclude distrust, the Kurds we meet are very careful about what they tell us. They all consider themselves Kurds before being Turks. And even if they do not openly approve of the terrorist acts of the PKK, they express, particularly young people, a strong nationalist feeling. The Kurds' demands for autonomy have been shaped by the denial of their identity and culture for almost a century!

When the Turkish Republic was created in the 1920s, the authorities banned the Kurdish language and surnames. The word "Kurdish" itself is banned and Kurds are called "Mountain Turks". Faced with this negation of Kurdish identity, the Kurds rose up on several occasions and were each time violently repressed by the Turkish army.

Our first night in Kurdistan will quickly make us forget the charm of the Kurdish people and immerse us in the brutal reality of the conflict between the PKK and the Turkish government. After eating a plate of rice in a restaurant under the watchful gaze of young Kurds wondering what two lost French people could be doing here, we returned to our small room in a squalid hotel. There is no electricity. Nic looks at the map of Turkey with his headlamp while lying on his bed. I think back to our day lying on mine, and see the smirks of the soldiers taking our rations from us... When suddenly, the entire room starts to vibrate.

“Is that an earthquake?!” » asks Nicolas, jumping up. I know that earthquake that hits you in the gut. I already experienced it during my military service in the Black Forest. But back then it was a game. “No, Nic, It’s Tanks!” »… We rush to the window and are seized with a feeling of fear upon discovering the column of armored tanks which “shoe-footed” crosses the streets of the city. We watch the scene behind the window curtain so as not to be spotted by the spotlights that sweep across the facades of the houses. And I think of the Kurdish children trembling with fear in their beds, while the iron monsters pass through the streets...

We tried to catch up with the tanks outside to take a photo of them at the bend of an alley. Without success. I realize today how unconscious we were. We go back to bed but are not at the end of our troubles. After one o'clock in the morning, we hear a pounding at the door. We hear Turkish spoken without understanding anything about it. Nicolas shouts louder than the voices behind the door. We hear “Police” shouted, and I go to open it with the passports in hand for yet another check. In a gibberish of Turkish and English, we understand that we are not welcome here and that we must leave the city the next day at dawn.

The next day, after having shaken hands for a long time with the children who happily accompanied us to the exit of the village, we will find the tanks from the day before, parked in a row in front of a barracks in the middle of the steppes. I remember trying to take a photo of them hidden behind Nicolas. Then a quarter of an hour later, trying to burn the film inside the barracks itself where we were invited to enter for a thorough search, hands in the air after a machine gun. I will take advantage of a moment of inattention from the officer checking our passports, to remove my jacket, hiding my Pentax 90 WR which I will drop into my bag, while discreetly opening the rear hatch to hide the photos...

The Kurdish uprising in the form of guerrilla warfare which has been raging since 1984 in Turkish Kurdistan is the work of the PKK, the “Kurdistan Workers’ Party”. The PKK is an armed organization formed in 1978 by Abdullah Öcalan. The latter, who is nicknamed here “Apo”, “Uncle” in Kurdish, demands the independence of the territories with a majority Kurdish population located in the south-east of Turkey. Having entered into an open war against the Turkish army in Turkish Kurdistan, the PKK is carrying out actions in the rest of the country against the authorities and Turkish tourist interests, in the form of attacks and kidnappings in seaside resorts and shopping centers. The independence organization is placed on the official list of terrorist organizations of Canada, the United States, the European Union, Australia, and the United Kingdom.

In 1991, the PKK controlled a large portion of southeastern Anatolia without any real resistance. With the army taking over anti-PKK operations, the PKK began a gradual retreat, crushed by military patrols crisscrossing the steppes, and starved by a scorched earth strategy. In a few years, the Turkish army emptied 4,000 villages of their inhabitants, cutting off the PKK from its support among the population, and at the same time, from its clandestine supply circuits. As we cross Turkish Kurdistan, the founder of the PKK, Abdullah Öcalan, who has taken refuge in Damascus for several years from where he directs the fighting, will soon reach Europe and Russia where he will stay for several weeks to defend the Kurdish cause. Abdullah Öcalan’s lobbying, coupled with international geopolitical interests, has borne fruit. Because the PKK would never have been able to lead a struggle of such scale, and for so long, without the external support of certain States. In fact, the PKK received material aid from the main opponents of Turkey and the Western bloc: the USSR, Armenia, Greece and the Greek Republic of Cyprus.

Back to our interrogation in our disused restaurant on Lake Van. The translator, a fine diplomat, plays the role of the “nice guy” while the guards take turns playing the role of the “pitt bull” looking for the slightest inconsistency in our answers. A guard calls us spies while brandishing the map he took from my pocket, because it only represents the eastern part of Turkey. I silence him by telling the translator that the country is too big to fit on a single map, which I hasten to prove by taking out the map of Western Turkey from my bag. A real sketch!... The ride ends when the man returns who left for 2 hours with our passports for investigation and verification of our identities. The latter announces to the van police chief that there is nothing to fear concerning us. The tension subsides and I even manage to cheer up our jailers by telling them that I know Miss Turkey for having presented with her to the Turkish automobile press, a new vehicle from the brand for which I worked in export at the time.

More relaxed, the Turkish translator begins to talk about the reasons for our arrest. The Turkish police are on edge because we are at the dawn of Newroz, the Spring Festival. Newroz, “the new day in Kurdish”, is a festival very popular with the Kurds and the peoples of the south of the Caspian Sea. It has been celebrated for 3000 years and is deeply rooted among the rituals and traditions of Zoroastrianism. Kurds celebrate Newroz between March 18 and 21 and consider it the most important holiday of the year.

Every year on Newroz Day, Kurds light fires and dress in green, yellow and red clothes which they consider to be the colors of the Kurdish people. And they dance to celebrate the victory of freedom over tyranny, in memory of the victory of “Kawa the blacksmith over King Zohac”. According to the legend, “King Zohac, afflicted on the shoulders of two serpents, had two young people sacrificed every morning to feed his monsters with human brains. Three knights, disguised as doctors, managed to spare one victim out of two by substituting their brains for that of a sheep. The survivor fled into the mountains, and from these thousands of fugitives the Kurdish people were born. Until the day of Newroz when a blacksmith named Kawa, whose sixteen sons had been sacrificed, revolted when his last child was captured. Kawa infiltrated Zohak Castle, killed the king, and thus freed his people from the yoke of tyranny. Everywhere people lit fires and danced around them to celebrate the death of the tyrant and celebrate Kawa's exploit.”

Given its strong identity connotation, Newroz festivities have long been banned in Turkey. In 1992, more than 70 people were killed by the Turkish army while celebrating Newroz. Understanding that it would not succeed in making Newroz disappear by force, the Turkish government decided for a time at the end of the 90s to change strategy by trying to recover the party. Newroz was renamed "Nevruz", and transformed into a "legal" Turkish festival, with a new mythology. But the manipulation was a failure, because Nevruz was both shunned by the Kurds and ignored by the Turks. So the government went to war again against Newroz, brutally repressing Kurdish celebrations within Kurdistan. And, in order not to alienate a large majority of moderate Kurds, the government began to broadcast propaganda films on national channels to discredit Newroz. On television, we saw violent images of celebrations, showing Kurds jumping over fires and firing machine guns in the streets. And although the TV reports were supposed to take place around Van, we saw none of that. I'm giving away the skin of a Kurd armed with a machine gun in the streets around Van for a cheap price!

The most burlesque propaganda scene that we will witness in front of laughing Kurds will take place in Diyarbakir. Diyarbakır is the most important city in southeastern Turkey. The Kurds, who make up the majority of its 850,000 inhabitants, consider the city to be the capital of Turkish Kurdistan. We will attend in a hotel in Diyarbakir live on television, a demonstration of Kurdish separatists supposed to pass right in front of our hotel under a beautiful sun, while through the window at the same time, it was raining heavily in the deserted streets of a curfew at the end of the day.

The van police chief closes the interrogation and whispers a few words in the ear of the translator who hastens to report them to us: “the police chief strongly invites you to go and spend your money in the nightclubs of Antalya ". We don't have time to say "phew" as the guards take us on a hellish train aboard their unmarked station wagons. Outside, the children start throwing stones at us again. In the car, a guard sympathizes with me because he is convinced with my Mediterranean complexion that I am of Turkish origin. The guard tells me that French journalists, and Madame Mitterrand in particular who defends the thesis of the Armenian genocide, are not welcome in this area. “I nod” for lack of a better word while Nicolas asks the driver where we are going? In response, the police stopped a bus in a fish tail and made us board...

The Kurdish passengers on the bus all look askance at us, questioned by the way we boarded. The bus is going west. More precisely in Tatvan on the other side of the Lake, by the South road. We obviously could not have taken this route by hitchhiking or on foot as we planned. We are stopped every two kilometers by military checkpoints with passport control and systematic passenger counting. The Lake itself, surrounded by garrisons, serves as a rear base for the Turkish army. Along the road, with their backs to the lake, tanks stationed every kilometer, point their menacing cannons towards the steep mountains on the other side of the road.

When we get off the bus at Tatvan, Nicolas takes me to a small roadside restaurant. We spent the morning being interrogated in the bitter cold, and it is true that he is starting to “feel hungry”. Barely seated, two men in “gadget inspector” outfits, presumably from the police, enter the restaurant and sit two tables away from us, staring at us out of the corner of their eyes. The owner of the restaurant, who saw the ride, lowers his eyes while busy wiping his glasses. This is too much ! I tell Nicolas that we will eat later. We leave the restaurant, followed by our two new chaperones, whom we lead out of town aboard a collective taxi on the way to Bitlis...

According to popular belief, the name of the city of Bitlis comes from a Macedonian general of roughly the same name, to whom Alexander the Great entrusted the construction of a fortress on the site of the current city. Bitlis is more infamous for having been a hotbed of the Armenian genocide. At the beginning of the century, on the eve of the genocide, a third of the population of Bitlis was Armenian. In 1915, Turks and Kurds massacred 15,000 Armenians. The scale of the massacres and their violence were such that the Turkish general Vehib Pasha spoke in 1918 of “an example of an atrocity which has never occurred in the history of Islam”.

Today, Bitlis and the surrounding villages represent an agglomeration of 65,000 inhabitants populated mainly by Kurds. Kurds trying to live peacefully among unique traditional and medieval architectural testimonies in eastern Turkey.

The taxi is stopped at a new checkpoint at the entrance to Bitlis. The officer on duty checks the identity of the passengers, lingers on us, and takes our passports to his booth, grumbling. I fear the worst. The officer returned more than half an hour later with our passports. Half an hour is a long time crammed into a shared taxi, with Kurds staring at you, wondering who you are, and who are annoyed at being stuck at a checkpoint because of you! The officer tells us in a threatening tone that we have to spend the night at the Adana hotel and that we have to leave the city the next day at dawn…

Condemned to stay in Bitlis for only a dozen hours, three quarters of which under curfew, we quickly dropped off our belongings at the hotel and ran through the city's numerous medieval Islamic monuments in the architectural style of beginning of the Seljuk era. The Ulu Camii Grand Mosque from the 12th century and its minaret from the 15th century, the Gokmeydani Medresesi Koranic school and the Şerefiye Mosque, dating from the 16th century. Before the Armenian genocide, there remains only one Armenian church from the 19th century which has not been razed, and which today serves as a warehouse...

On television in the evening during curfew, with the Kurds in the hotel, we are treated to new images of “anti Newroz” propaganda, showing police officers bloodied from having contained a Kurdish demonstration. The Kurds with us watch television impassively, in dead silence. But the main subject of the television news is a tiny rock disputed between Turkey and Greece in the middle of the Aegean Sea. The conflict is presented with lots of Hollywood war jingles, in a “Desert Storm” and “Restore Hope” style that was surprisingly avant-garde for the time.

At dawn, the police pound on our door and throw us on the first bus leaving for Diyarbakir. The bus is full. The atmosphere seems to relax as we drive west, and we make friends with Kurdish families during fuel and meal breaks. Even military checkpoints are becoming rarer. The landscapes unfold in an alternation of rocky deserts and thickets of thick trees.

The bus speeds through the high plateaus when in the middle of a new grove, soldiers across the road stop the bus, and divert it into a muddy undergrowth where a garrison of young armed soldiers awaits us. I feel bad, like in horror films, when the killer reappears after the “happy ending”.

“Nicolas, tell me you threw away your press card.” Nicolas had a real fake press card made by a friend working at the newspaper “Le Monde” before our trip to Kurdistan. We thought it could serve as an opening key for us. We quickly understood in Van, from the first questions of our interrogation, that it was better not to appear as journalists, French ones at that. Nicolas had feigned an urgent desire to get rid of it. “Don’t let the guard go to the toilet,” Nicolas replies, biting his lips. " I still have it "…

A non-commissioned officer yells at us to get out of the bus. Men and women are separated at gun point on either side of the bus. An old Kurdish man wants to reassure his frightened wife, but he is pushed back with rifle butts amid the screams and tears of the women. The soldiers holding us at gunpoint look more terrified than us.

They are obviously young Turks doing their two years of military service. The atmosphere is electric. We feel that all it takes is one misunderstanding, one bullet fired by a trembling finger, and no one comes out alive from this muddy undergrowth. The non-commissioned officer, a professional soldier with the look of a killer, shouts the orders. He begins to have the men searched, while the officer in charge of the garrison has the bus's holds opened. The non-commissioned officer rips open the passengers' backpacks with a dagger to search them, and pauses when he discovers our backpacks which contrast with the Kurdish luggage. The driver intelligently seizes this moment of hesitation to ask me quite loudly where I come from. I tell him that we are French tourists, loud enough to be heard by the officer and the non-commissioned officer. The officer instantly stops the search of the men and luggage and puts everyone back on the bus. I remain frightened by the officer and his “off-duty pit bull” who shake our hands and wish us a good trip before getting back on the bus.

EPILOGUE: The bus leaves the muddy undergrowth to resume its route towards Diyarbakir. The driver gives us a broad knowing smile in his rearview mirror. Kurdish men thank us, others come and tap us on the shoulder, an old woman with her hair covered in a kerchief blesses us by raising her hands to the sky... I was really afraid three times in my entire life of adventurous traveler. One of the three was this episode in this undergrowth away from the road... Nicolas remains silent. We lack words to express the range of emotions we feel. Disgust, relief, sadness... We are disgusted to feel selfishly relieved to leave Kurdistan without injuries, while we leave behind us the Kurdish people to their sad fate...

Our bus peacefully continues its journey towards the west while Abdullah Öcalan, the leader of the PKK, who has gone to seek support throughout the world to defend the Kurdish cause, will be arrested in a few weeks in Kenya with the collaboration of the Israeli secret services, of the CIA, and the Turkish secret services (MIT). With the PKK leader's life sentence, the clashes will decrease in intensity, notably with the withdrawal of PKK troops into Iranian and Iraqi Kurdistan. Following his imprisonment, Abdullah Öcalan declared a unilateral ceasefire in 1999.

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